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L'Art des Muses - La Musique naît de l'accent de vérité

Qui était Harmonie ?

Antériorité du langage ou de l'œuvre ?

Confusion actuelle du signe et du symbole

Du temps de notre bon classique

Les éléments de base de la musique - Un grand oublié : l'accent

Polythéisme musical - Polyphonie et monodie

Le dernier carrefour ou la "profession de foi" de Rossini

Conflit des puissances chtoniennes et célestes

Rossini annonciateur désolé de la musique contemporaine

Où en sommes-nous ?

La musique et la nécessité

Musique, science et conscience

Quelques principes de base destinés à renouer avec l'origine

Agir

Qui était Harmonie ?

Harmonie était la fille d'Arès et d'Aphrodite. N'y a-t-il pas dans cette union, tout un programme destiné à rendre créateurs, à transcender, souvent sans le savoir, ces deux mouvements fondamentaux de l'âme : la colère et l'amour aussi nécessaires l'un à l'autre que la nuit et le jour ? Nous voilà loin d'une sèche technique et nous pouvons d'ores et déjà nous ouvrir à cette réalité fondamentale selon laquelle une véritable science de l'harmonie musicale, une authentique étude des accords, que le discours soit monodique ou polyphonique, ne peuvent être séparées d'une étude de la psyché, de la connaissance de soi et de la quête des raisons mêmes de notre manifestation en ce monde ?

Antériorité du langage ou de l'œuvre ?

En notre temps de technicité et de recherche formelle, la question vaut d'être posée. Elle est essentielle. Dans une conversation pleine de sagesse recueillie à la fin de ses jours, en 1978, Nadia Boulanger qui enseigna la composition de longues années, déclarait : "Celui qui cherche parce qu'il a quelque chose à dire, eh bien ! il trouve les outils qu'il lui faut. S'il cherche n'ayant rien à dire, on peut s'attendre à un résultat négatif". Il est vain de séparer le langage de l'œuvre. Le projet créateur est inséparable des formes manifestées qui lui accorderont sa réalité. Mais, me dira-t-on : "Et en musique ? " La musique n'est pas un art de l'écriture visuelle et son langage sonore ne peut pas être réellement traduit par écrit. Croire à la fidélité de cette traduction est la cause de cette matérialisation de la musique qui fait que celle-ci devenue inoffensive peut être écoutée comme musique de fond et qu'elle est souvent réduite, pour compenser, à des effets quantitatifs vulgaires.

Confusion actuelle du signe et du symbole

"La musique ne se lit point des yeux." (Chérubini, 1812). Le signe musical conventionnel bien perçu, ne recèle pas, en lui-même, le projet créateur, ni son langage expressif, ni ses formes manifestées dans le corps et l'âme interprètes, ni son mouvement profond, idéal, ni sa lumière, ni sa vision, ni sa violence ou sa douceur, ni sa prière, ni aucune des énergies symboliques qui animent pourtant toute création musicale et poétique vraie. Le signe pourrait être représenté autrement. Il l'a d'ailleurs été. Le signe conventionnel ne sert qu'à aider la mémoire par le moyen d'un code visuel ne transmettant que le squelette du réel à reconstituer. L'étude du squelette est fort insuffisante en musique comme elle le serait en médecine. S'attacher à développer inconsidérément ce code, à le compliquer à l'excès : c'est fatalement lui accorder une importance qu'il ne peut avoir; c'est devenir son prisonnier et par là perdre la faculté d'éveiller la réalité symbolique, sa puissance vibratoire et d'évocation qui sont du domaine de l'insaisissable, de l'indéfinissable et pourtant, en même temps, le seul "langage création" réel.

Du temps de notre bon classique

On ne croyait pas encore (ainsi que nous le verrons à propos de l'accent) que le signe conventionnel puisse se substituer à l'univers sensible et symbolique ni receler ses secrets. Ce bon classique tellement rabâché et que nous écoutons souvent en dormant à moitié pour notre confort moral, nous arracherait sans aucun doute à notre torpeur si soudain, nous l'entendions tel qu'il était rendu en son temps. Peut-être ne l'accepterions-nous pas et ce serait bien ainsi dans la mesure où nous avons sûrement autre chose à faire et à écouter et où, si nous voulons encore vivre, nous devons faire comme nos ancêtres qui ne vivaient guère, eux, que de "musique nouvelle", les œuvres jouées plus de vingt années étant rares autrefois... "Mais moi je vis de musique contemporaine" dit l'amateur de "pop".... D'aucuns diront qu'après tout, la vraie musique contemporaine : c'est la variété, le rock, la pop et le disco.... Il n'y a rien à répondre à cela qui, par un côté des choses, peut paraître exact ; sinon, sans entrer ici dans un examen de conscience nécessairement fort étendu, qu'il n'en demeure pas moins vrai que le "passéisme musical" classique et folklorique (que la pop elle-même exploite), répond indiscutablement à un besoin secret qui se répand hors des pays de culture occidentale et que la pop ne saurait combler. Ce besoin d'une vraie tradition, d'une idéalité, même affaiblie par le temps, l'usage et l'assujettissement au signe, révèle une formidable attente, l'aspiration profonde à une nouvelle naissance qui ne peut pas ne pas venir. Et cette nouvelle naissance ne pourra pas ne pas rejeter cette aliénation de l'individu à la quantité sonore artificielle, à la technologie mise au service de la déformation de la manifestation humaine : toutes choses qui ne sont que la continuation, dans le même sens, de ces musiques décousues et "à fracas" que le grand public dénonçait dès la première moitié du XIXème siècle, percevant déjà, derrière ces déviations, l'assujettissement de l'homme à ses techniques, et à une structure sociale écrasante ; une structure déjà impuissante à créer et réduite à piller le patrimoine culturel des peuples.
"Le peuple compose et nous élaborons.... ", cette phrase d'un musicien russe du siècle dernier évoque hélas ! ces innombrables symphonies savantes qui, si elles étaient privées des thèmes empruntés aux peuples, feraient apparaître la vanité de ces conceptions compliquées ne parvenant presque jamais à masquer l'absence de l'idée générale. Les peuples ayant tout donné ; et leurs nouvelles activités ayant pollué la pureté de leurs chants ou les ayant mis sous le boisseau de la structure.... il ne restera plus qu'à glorifier la forme pour elle-même.

Les éléments de base de la musique - Un grand oublié : l'accent

Si nous n'avons pas voulu aborder ici l'examen des éléments de base de la musique, c'est parce que, ainsi que nous l'avons dit plus haut, l'essentiel : c'est l'œuvre qui trouve toujours ses matériaux de construction. Et tant de livres ont été écrits, depuis des millénaires par des théoriciens qui n'ont rien laissé d'autre qui vaille ! Ainsi que l'écrivait Grétry dans ses vieux jours : "Que de musiciens nous ont donné leurs rêveries, leur bêtise fondamentale pour des règles de l'art ! ".On a donc pris l'habitude de dire que les éléments de base de la musique sont : l'intonation, le rythme et le mouvement. L'intonation situe deux sons l'un par rapport à l'autre au niveau de la hauteur à laquelle chacun d'eux résonne, dans la mesure où ils peuvent être repérés. Le rythme établit entre les sons des rapports de durée. Quant au mouvement qui peut aussi être extrêmement varié au cours d'une même séquence musicale, il détermine le plus souvent comme une impression d'ensemble plus ou moins lente ou rapide. Mais l'essentiel est toujours dans "l'ailleurs" : l'accent insaisissable et créateur.
Dans le jargon musical actuel, l'accent est un petit signe indiquant qu'il faut marquer plus fortement la note, sans nuance qualitative. C'est tout. Jadis, il était lié à l'étude de l'appogiature ou petite note souvent non écrite, tout simplement parce que, dans l'idéal, l'accent sincère l'engendre spontanément et que toute manière calculée de la rendre était rejetée par un auditoire suspendu et jugée par lui, médiocre, sans signification, même si le son était matériellement réussi.
Étymologiquement, l'accent est synonyme d'intonation et n'est-il pas fondamental de remarquer ici que les deux termes servent également à désigner jusque dans le langage parlé, avec le mot ton d'ailleurs, une signification d'ordre affectif inséparable de la musique plus ou moins palpable des mots prononcés ? Ton, intonation, accent, sont en réalité des mots qui suggèrent une nuance exprimant la manifestation musicale de la psyché, des mots qui évoquent cette part d'inconscient mêlée, parfois comme surajoutée, au conscient qui, hélas ! en musique, n'est plus, bien souvent, que sèche application d'une technique, d'un procédé soumis à l'arbitraire du "non signifiant".
L'accent révèle la connaissance innée mais rendue secrète par la naissance et qu'il faut retrouver : la musique est son langage et elle est destinée à sans cesse l'épurer en harmonisant la montée vers le conscient.
Musique, danse et poésie forment une trinité chargée de mimer la totalité (pantomime). Dans la mesure où le langage parlé tente de traduire le conscient (un conscient qui sera d'autant plus riche qu'il atteindra par la poésie, le domaine des symboles révélateurs d'énergie et d'intemporalité), le langage musical ne peut sans appauvrissement et sans dessèchement final, s'abstraire totalement du langage poétique et même pulsionnel auquel, dès l'origine, il est intimement lié, comme d'ailleurs à la danse et à la pantomime qui, plus intérieure ou plus projetée, insuffle la signification, la réalité et la vie secrète de cette trinité expressive.
Encore au temps de nos classiques, toute musique même instrumentale, devait être, pour son exécution, entendue au niveau de l'état émotionnel et imaginal qui lui avait donné naissance. L'étude des accents demeurait fondamentale : "élans de l'âme", identification et maîtrise des différents "éclats de joie", "de douleur", etc ... formaient la base d'un intense labeur qui n'était pas sans périls et sollicitait la sagesse des maîtres et leur discernement. Cette reconstitution d'un scénario qui pouvait aller jusqu'à solliciter la visualisation d'une scène était si importante qu'elle reduisait l'écriture des notes sur la portée à n'être que ce qu'elle est réellement : un aide-mémoire dans le sens affectif de l'expression ; la mémoire étant destinée à solliciter la vie symbolique profonde, enclose dans le cœur. On allait jusqu'à considérer, en France, qu'il était (ô scandale) inutile de savoir lire ses notes, tellement tout compositeur vous demandait d'exécuter tout autre chose que ce qu'une simple lecture vous révélait... Ce travail d'intériorisation musicale était d'une richesse et d'une étendue que les textes anciens nous révèlent sans pouvoir nous les transmettre ; d'autant plus que tout un chacun savait que l'essentiel se transmettait par l'exemple, l'imprégnation sensible et ne pouvait s'écrire.
Cette juste appréhension du code d'écriture se perpétua avec des remous sans cesse renaissants qui faisaient partie du jeu, jusqu'au début du XIXème siècle, jusqu'à la démesure de la science harmonique et de l'orchestre qui devait aboutir, fatalement, à la prolifération du signe extérieur et à la perte symbolique.
Lorsque la tradition nous parle des "accents d'Orphée", notre Imaginaire entend ce que cela veut dire et la musique soudain reliée à la signification, au verbe et à l'efficacité, échappe à toute vaine spéculation intellectuelle ; elle s'incarne et atteint son plus haut degré de manifestation... du moins sur terre.
L'accent de vérité jaillit de temps à autre dans notre vie : un mot, une interjection suffisent à le révéler. Il est, un court instant, toute une musique révélée. Le poète, le musicien, en remontant comme à la source du temps et par là même lui échappant, prolongent ce court instant ; ils laissent résonner dans leur demeure intérieure cet écho plus chargé de vie et d'harmonie. L'accent de vérité ne peut séparer le rythme de l'intonation. C'est par lui que se manifestent les chants les plus sublimes qui sont comme des réponses à des appels profonds dépassant toujours le plan de la conscience claire. C'est lui encore qui, par ce "cœur innombrable" aspirant à fondre l'un et le multiple, unissant polythéisme et monisme, livre passage aux ensembles polyphoniques les plus évocateurs de la céleste Harmonie.

Polythéisme musical - Polyphonie et monodie

Plusieurs ont accusé la polyphonie européenne d'exprimer l'éclatement de la Totalité que la monodie de type grégorien aurait représentée. Ce n'est pas si simple. La pluralité des voix, si elle vise à représenter l'harmonie de la totalité évite aussi de tomber dans ce piège du monothéisme qui, mal vécu et demeurant idéologique, se confond à l'égoïsme du clan ou de la personne et est source de bien des errements. L'évolution de la musique européenne témoigne, précisément, depuis 2000 ans, d'une lutte intérieure presque inconsciente entre d'une part, cette aspiration ancestrale à harmoniser la diversité sans aucun dogme fixé une fois pour toutes et connaissable d'avance et d'autre part, cette volonté totalitaire de tout ramener à un système, à une règle destinés à sécuriser le mental par une unité de principe fatalement arbitraire et tyrannique. L'état industriel ne pouvant récupérer et enseigner que ce qui est saisissable, donc systématique, a favorisé depuis sa mainmise sur les arts, cette volonté de pouvoir et donc le système ; alors que pourtant, ô paradoxe, la création musicale la plus authentique et la plus vivante est née de musiciens rebelles à tout système et parfois divinement ignorants de toute vaine science... On comprendra ici pourquoi la polyphonie de l'ère industrielle a fatalement, par la suprématie accordée au système rationnel, abouti au chaos, à l'éclatement de toute forme significative : la confusion naissant à la fois, de la perte de l'idée générale (qui ne peut être ni un dogme ni un système car elle est toujours du domaine du symbole et de l'affect) et de la prolifération des à priori que la volonté de pouvoir tire de l'éclatement des apparences qu'elle récupère en les multipliant dans sa fatale insatisfaction perpétuelle. La musique devient mosaïque d'effets calculés, vain collage de formes vides....
Les grands créateurs musicaux ont toujours su montrer que la monodie était, elle aussi, à condition de suivre la voix du cœur, que celui-ci soit tendre ou furieux, susceptible d'évoquer la totalité et ses manifestations multiples. Les acteurs-musiciens de génie ont toujours connu cet art profond dans lequel la multitude se reconnaît et se libère de ses tensions, de ses pulsions et découvre l'accès au dépassement et au sublime. Cet art du récit musical, inséparable de celui de la mélodie significative, dépasse de haut un enseignement étatique gagné par la rationalité et la récupération de formes extérieures de plus en plus compliquées. Il était, traditionnellement inséparable de l'étude de l'âme. C'est pourquoi, l'école de l'état, ne pouvant ni le couler dans une norme, ni l'enseigner, l'a purement et simplement éliminé. Et là encore, l'art musical savant a pratiqué, au nom du progrès, la confusion des manifestations musicales de l'homme, emmêlant dans un carcan orchestral de plus en plus surchargé et chaotique, un récitatif instrumental ou vocal inexistant à une mélodie devenue elle-même irrespirable, le tout ponctué de grands fracas dominateurs recouvrant sans cesse ces interventions musicales individuelles sans signification, comme pour les achever... et les restituer au chaos dont il leur est interdit de s'évader.

Le dernier carrefour ou la "profession de foi" de Rossini

On nous a enseigné que "Rossini avait retardé l'évolution de la musique. Au point où nous en sommes aujourd'hui de cette évolution, il est permis de se demander si Rossini, ainsi que le pensaient bon nombre de ses contemporains, et même de grands penseurs précisément, n'annonçait pas comme un courant de spontanéité, de détachement et de joie légère qui devait être arrêté par ce contre-courant pesant, matérialiste, systématique et à progrès historique qui a conduit à la musique dite "contemporaine".

Conflit des puissances chtoniennes et célestes

Tandis que Schumann qui donna souvent libre cours à sa haine du "sensualisme" d'Italie n'hésitait pas à utiliser, pour composer, la dictée d'une table possédée (Brahms a laissé un témoignage écrit de cette pratique dangereuse), que de nombreux musiciens, et parmi eux Berlioz, se laissaient attirer par des sujets macabres ou sordides, Rossini demandait à son dieu de le garder de cette attraction "vers le magnétisme et les diableries". Son dieu lui dit aussi "de ne plus composer pour le public". C'est lui qui le déclare. Il avait aussi déclaré : "maintenant il n'y a plus que la rapine, la vapeur et les barricades qui les intéressent... Pour vivre, la musique a besoin d'idéal." Y avait-il, de sa part, derrière son "rifiuto", autre chose qu'une difficulté à s'adapter aux "Temps modernes" ? Oui, certes. Une foi secrète dans les destinées de la musique et qu'une longue et grave maladie n'atteindra pas en dépit d'un comportement extérieur qui trompera bien des étourdis... "La musique n'est pas un art imitatif ; elle est un art incitatif ". Rendu disponible par son rifiuto, Rossini recevait de nombreux jeunes musiciens auxquel il prodiguait ses conseils.
Le typographe Bettoni a publié le compte-rendu d'une conversation-promenade improvisée en compagnie de Rossini. Celui-ci, avec enthousiasme, livre quelques éléments fondamentaux de sa foi musicale. Il n'est pas possible de tout citer, mais après avoir reproduit quelques extraits de cette conversation, nous résumerons les principes auxquels croyait Rossini : "…C'est une faute commune, même au plus grand nombre de ceux qui professent la musique et qui en raisonnent magistralement. La musique n'est pas un art imitatif, mais entièrement idéal quant à son principe, incitatif et expressif quant à son but… La musique est un art sublime, précisément parce que, manquant de moyens pour imiter la réalité, elle s'élance au-delà de la nature ordinaire, dans un monde idéal, et, par la puissance de la céleste harmonie, remue les passions des humains. La musique, je vous le répète, est un art tout idéal ; elle n'est pas un art imitatif… ; C'est dans le rythme que réside toute la puissance de la musique"

Rossini annonciateur désolé de la musique contemporaine

Un jour qu'on lui parlait de cette musique de l'avenir dont l'aspect quantitatif n'échappait pas aux frères Escudier, Rossini, en guise de réponse posa son derrière sur le clavier de son piano et puis, il se mit à genoux devant une partition de Mozart. Cette prophétie a trouvé son accomplissement de nos jours dans des festivals très officiels de musique dite contemporaine. Il est nécessaire ici de rappeler aux avant-gardistes qui paraissent l'ignorer que ce "courant d'imitation" est vieux comme le monde et qu'imiter l'exactitude rien qu'interne de systèmes mathématiques, si savants soient-ils, c'est encore imiter. Et rien qu'imiter. Il est nécessaire de leur rappeler la profession de foi de ce Rossini qu'ils ont appris à juger bien légèrement avec cet esprit de sérieux si plein de stupeur dont ils devront se dégager à seule fin de redevenir sensibles en toute chose à l'expression de la grâce comme à la nécessité cosmique de sa manifestation.
Pas de musique, nous avertit Rossini, sans "dépassement de la nature ordinaire". Ce dépassement ne peut être obtenu par le chemin de l'imitation et de la parcellisation sans fin, mais par le contact direct avec l'esprit, par les sphères idéales qui délivrent la joie, par cette puissance de l'imaginaire, ce sens de "l'atmosphère morale", de la "catastrophe", "que l'école n'enseigne pas".
Pas de musique si, privée de cette irruption de la source vivifiante et de son énergie contrôlée, il n'y a aucun effet "incitatif".... Pas de musique pour elle-même donc. Pas de musique s'il n'y a rien à transmettre ; le message fut-il du domaine de l'indicible.
Pas de musique sans puissance rythmique : en d'autres termes, sans abandon à la danse de Shiva-Dionysos. Ce qui entraîne la vanité de toute étude focalisée, ainsi que cela devait se répandre jusqu'à nos jours, sur le son pour lui-même, l'accord pour lui-même, sans intégrer à cette étude le rythme qui est la vie et porte l'accent.
Maintenant la prééminence des sphères idéales de l'esprit, sur les forces telluriques et chtoniennes et sur le mental (le "compliqué") qui finit toujours par se mettre à leur service si lui-même n'est pas le serviteur des "Sphères Idéales", Rossini, certes, au terme de ses longues souffrances physiques et morales, ne s'égare pas. Il nous livre les clefs de la création et son testament musical, écrit à l'âge de 72 ans, est dans le "genre céleste".
La hiérarchie musicale : nécessaire à la vie quotidienne, devenant martiale si la nécessité l'exige, approfondissant le cœur humain par "un langage qui lui est tout particulier", la musique est destinée en définitive à atteindre son sommet dans le "genre grave, suave et céleste" qui offre aux humains comme ce plus haut degré "d'incitation", qu'ils n'atteindront qu'après avoir traversé leurs passions. En français le mot passion évoque à la fois la passion primaire et la passion purificatrice, l'une conduisant à l'autre et toutes deux utilisant la même énergie primaire :

Au sein de la colère,
Au sein de la torpeur,
Au sein de l'avarice,
Au sein de la jalousie,
Au sein du désir passionné,
Réside la pure lumière d'une sagesse
(sagesse du Tibet)

Nous voilà, avec Rossini, dans la plus authentique pratique musicale, hors de toute morale bien pensante, comme de toute idéologie soucieuse de refaire la musique et le monde pour son propre compte.
Celui qu'on nomma souvent le "dieu de l'énergie" et qui guérissait bien des humains en dirigeant lui-même ses ouvertures, nous rappelle que le feu de la passion humaine est essentiel et qu'à son sommet, elle touche au ciel : ce ciel qu'il faut, dans toute la mesure du possible, tenter d'écouter à tous les degrés de la pyramide de la joie musicale.

Où en sommes-nous ?

Après ce rapide examen destiné à montrer comment dans notre société, la musique suivant l'évolution (l'involution) générale s'était laissé gagner par le matérialisme ambiant, l'imitation, le système et le chaos qui en découlent selon l'ordre naturel des choses, il n'est pas nécessaire de contester cette musique qui se veut "contemporaine" et qui en réalité, depuis plus d'un siècle, malgré l'aide croissante des structures gouvernementales, est condamnée, ainsi que cela s'est déjà produit au cours des âges, à être contrée par la remontée irrésistible de musiques traditionnelles, affaiblies pourtant par le temps et un oubli parfois plusieurs fois séculaire. Cette musique n'est que l'aboutissement d'une perte progressive de la signification et, sans entrer dans des détails ni dans le récit d'anecdotes accablantes et révélant l'absurdité de maintes situations musicales et le profond malaise des éxécutants égarés dans cette confusion, je me contenterai de rapporter le propos d'un éminent professeur qui me confia un jour, qu'à ses élèves "entrés dans une chapelle pour se faire jouer en faisant le singe dans le sens voulu", il déclarait : "Tu es joué. Mais maintenant on te confond avec ceux qui ne savent rien et font n'importe quoi".
La prolifération du signe arbitraire "décidé" à se substituer à la puissance visionnaire du symbole mène à la confusion radicale. Est-ce donc à cela que mène cette rupture non moins radicale avec le passé, voulue et déclarée en 1974 par Pierre Boulez, maître fondateur de l'IRCAM ? Nous l'avons dit, la référence aux mathématiques qui sert de caution sérieuse à plusieurs patrons de la musique contemporaine dans la société technologique, ne peut permettre de dépasser le cadre étroit de l'imitation, de l'imitation primaire, souvent tronquée dès le départ (mais qui le sait ?), de l'imagination formelle, du système ad libitum totalement dénué de vie. Cela suffit pour faire des choses compliquées ; mais pas de la musique....
Le "dieu de l'énergie" a été ravalé à la dimension d'un robot programmé et les musiciens de chair, chargés d'exécuter ces œuvres contemporaines, ne rayonnent plus aucune joie et paraissent réduits eux-mêmes à l'état de robots, tellement leur sphère mentale seule est sollicitée et leur corps crispé. Lorsque I. Xénakis déclare que "la musique est l'art abstrait par excellence", il est permis de lui demander si sa célèbre compatriote, Maria Callas, était aussi de cet avis....
Quant au maître de l'IRCAM, afin d'imiter les mathématiques sans remords, il a déclaré que "la musique était un art non signifiant", réduisant ainsi la musique à une signification ne dépassant pas les limites du signe visuel élevé à la hauteur d'un symbole arbitraire destiné à s'imposer au monde...
Il était difficile, en effet, de s'emparer plus radicalement de la lettre pour se glorifier en elle en prétendant pouvoir se passer de l'esprit. Jusqu'où peut-on aller dans cette voie ? Jusqu'à faire dire au Pape que Dieu n'existe pas... Dans un entretien (Euroscopie, 1984), Pierre Boulez déclare : ... Quand on dit "credo in unum Deum" par exemple, ce que vous pouvez transmettre en musique n'est pas le dogme de la croyance, c'est l'affirmation de votre foi. Vous faites un geste sentimental. Vous affirmez quelque chose. Et là, ça donne un geste musical. Mais vous diriez "je ne crois en rien" ce serait exactement la même chose parce que ce qui compterait, c'est votre affirmation et vous n'auriez pas du tout à changer le texte musical".
Ainsi, selon le maître de l'IRCAM les chants les plus sublimes, les prières jaillies du cœur humain seraient musicalement les mêmes si leurs auteurs les avaient écrits, le cœur fermé à tout élan de joie, de beauté et d'adoration, et le mental crispé sur un formalisme arbitraire, négateur de toute transcendance ? Heureusement qu'il a pris le soin de dissocier le langage et la musique en déclarant que celle-ci était "un art non signifiant" ; sinon nous lui demanderions si les poèmes les plus sublimes de la terre entière qui sont aussi des chants ne résultent, eux aussi, que d'une "affirmation" volontariste et si, selon lui, leur harmonie sonore et rythmique serait la même si leurs auteurs les avaient écrit pour nier et rejeter la beauté qui les a transportés ?
Puisqu'il est ici question de "croire" : qui peut croire à une telle absurdité ? Une absurdité qui cautionne les doctrines du hasard, les volontarismes provocants et traduit cependant avec une véritable inconscience, la dissociation douloureuse entre d'une part, l'affectif et l'imaginaire symbolique et d'autre part, le mental livré à ses illusions formelles et tournant sur lui-même comme sur une proie qu'il n'en finirait pas de dépecer, de parcelliser sans fin, multipliant les systèmes les plus arbitraires afin de combler "l'horreur du vide". C'est ainsi que la volonté dominatrice s'est substituée à la grâce et aux "sphères idéales".
Il n'y a rien de tout à fait nouveau et il suffit, par exemple, d'étudier l'évolution de la musique grecque savante, depuis le temps de Platon jusqu'à la venue du christianisme, pour réaliser, à quel point, pendant des siècles, elle s'affirma, tenta de s'imposer en marge "des philosophes et du vulgaire", pour disparaître complètement sans rien laisser qui vaille, que d'incompréhensibles systèmes sur lesquels les musicologues se sont vainement penchés depuis.
Et ce cas n'est pas unique : au cours des âges, toutes les civilisations ont connu ces périodes au cours desquelles la recherche formelle et la technique pour elle-même préoccupèrent jusqu'à l'absurde musiciens et artistes, les conduisant en même temps à rejeter l'univers sensible et l'âme ancienne. Il va sans dire que de telles périodes, déshumanisantes, engendrent elles-mêmes celles qui leur succèdent, avides, elles, d'expression sincère et de profondeur.

La musique et la nécessité

Mais la musique, messagère des dieux et aussi de l'esprit, passe où elle veut et quand elle le veut... Il y a des nécessités supérieures, relatives au devenir d'un groupe humain, d'un peuple ... ou de la terre entière, qui font passer la parole et "sa meilleure musique", la musique et "sa meilleure parole". Ces voies de la nécessité ont le pouvoir d'emprunter les canaux culturels les mieux partagés qui se présentent à elles, en les élevant de l'intérieur, en les transcendant dans le sens du message à transmettre, jusqu'à rendre la création à la fois évidente et toute neuve, sans prendre la peine de détruire les formes figées qui s'annihileront d'elles-mêmes. C'est le propre de la musique et du verbe poétique d'agir au sein de la mêlée sans se laisser saisir et de demeurer libres de faire entendre des harmonies dépassant de haut les conflits de société déclarés ou latents qui, pourtant, ont nécessité leur manifestation et leur concours.

Musique, science et conscience

Voici deux siècles, la nécessité précisément fit que les savants les plus éminents s'inquiétèrent de ce fossé déjà creusé entre la science devenue mécaniste, en proie à l'éclatement et la conscience. Ce désir profond de retrouver l'unité de la connaissance donna en art, ce qu'on a appelé le mouvement romantique qui, en musique, se révéla particulièrement créateur puisque ses œuvres ont été reçues de la masse des auditeurs jusqu'à nos jours. Ce mouvement dit "romantique" qui a été, que nous le voulions ou non, le dernier en date des mouvements musicaux crédibles n'a cessé, dans les couches profondes de notre conscience, de délivrer son cri d'alarme et d'espérance mêlées...
Aujourd'hui que de nombreux hommes de science, confrontés à ce fossé élargi jusqu'à la rupture radicale entre la science technologique et la conscience, ont recommencé à chercher les moyens de le combler, la musique peut-elle demeurer timidement aliénée au formalisme technologique et aux formules sèches ? Ne doit-elle pas tout entreprendre pour retrouver son unité originelle, sa puissance d'évocation, sa vie, au-delà des contingences sociales auxquelles, par essence, elle ne peut se soumettre sans s'annihiler.
Ce qui a manqué, ce qui manque au néo-romantisme de ces dernières années, c'est sans nul doute la reconnaissance claire et active de son origine et de sa fin. Deux siècles après, pouvait-il se passer de la puissance du verbe ? En réalité, pouvait-il même encore se réclamer du romantisme ? Un engagement, parallèle à celui des sciences contemporaines de pointe qui refusent la distinction illusoire de la matière et de l'esprit, ne peut être qu'un engagement immense qui n'a pas encore à se nommer.

Quelques principes de base destinés à renouer avec l'origine

La voix humaine, destinée à exprimer tous les accents profonds de l'être et possédant la puissance du verbe, est la base inaliénable de tout renouveau musical ; elle est l'instrument privilégié capable d'aborder tous les genres, quotidiens, expressifs ou plus sublimes.
" Ritorniamo all antica e sarà un progresso " (Verdi). Toute renaissance du verbe et du chant étant aussi un retour à l'origine, insuffle une vie nouvelle à toutes les autres formes de musique et à la danse qui retrouvent une destination et un usage conformes aux besoins les plus fondamentaux de l'homme en devenir.
La langue française, sans accentuation tonique fixée une fois pour toutes, est une langue fluide et libre, riche en analogies insoupçonnées que la conscience collective secrète a préservé en esprit et tissé dans un nouvel idiome, au fil des âges. Elle est destinée à être le canal des mouvements profonds de l'âme et à exprimer en même temps leur contraire, c'est-à-dire le côté relatif des choses humaines que les muettes, dans notre langue, évoquent déjà.
La musique la plus étendue est celle qui, dans des proportions diverses selon les genres, fait intervenir les trois mondes de l'incarnation humaine.
Toute musique, de la plus triviale à la plus sublime, est une pantomime : une danse du cœur, du souffle, des yeux, du masque, des mains et des pieds... (les mystiques en extase ont eux-mêmes toujours été décrits comme des acteurs de génie mimant l'harmonie des contraires).

Agir

Créer des oasis de célébration... chez soi et dans des lieux choisis et aménagés pour accueillir un plus grand nombre. Tous les événements (sans âge) de la vie humaine, de la nature entière et du Ciel peuvent encore nous inspirer des musiques, des hymnes, des danses destinées à se manifester à la fois dans la demeure de l'Éternel et dans notre maison d'aujourd'hui, dans notre jardin, dans notre présent ainsi vécu et chanté ensemble, sans passéisme ni révolte. Transformons notre nostalgie en premiers saphirs et émeraudes taillés par nous pour le temple du devenir.
Créer un théâtre de cérémonie, une Alésia culturelle destinée à la représentation poétique, musicale et chorégraphique :
- des épreuves collectives et individuelles de l'âme dans le tissu sans cesse ouvragé de leur commune réalité.
- des grands mythes de l'humanité devenus aujourd'hui susceptibles de délivrer une signification au réseau serré de nos contradictions, d'ouvrir notre conscience aux nécessités de l'heure et d'encourager notre combat par des hymnes traduisant fidèlement dans notre langue, le chant libérateur des symboles.

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